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On est rien et on y peut rien ou Comment déprimer avec Hume ?

samedi 14 juin 2014



David Hume est un philosophe britannique du 18e siècle. Il est l’un des fondateurs de l’empirisme moderne appliqué jusqu’aux phénomènes mentaux et est connu notamment pour son scepticisme à toute épreuve. Son projet principal fut de constituer une science de l’homme à laquelle seraient appliquées les mêmes méthodes qu’aux sciences expérimentales avec pour objectif que ses résultats puissent être considérés comme des connaissances fiables. Tel est le sujet de son Traité de la nature humaine. Au cours de l’élaboration de cette nouvelle science de l’homme, Hume va être amené à déconstruire un certain nombre de mythes philosophiques, c’est la raison pour laquelle on le considère souvent comme un philosophe destructeur. Nous allons ici nous intéresser à deux de ses gestes négatifs qui pourraient chambouler quelque peu notre rapport à nous même et au monde : les mythes de l’identité personnelle et du libre arbitre. Quel est ce noyaux que j’appelle « moi » et qui résisterait à tous les changements intérieurs et extérieurs ? Existe-il réellement ? Pourquoi alors aurais-je toujours cette sensation d’être le même ? Comment dans un monde où chaque phénomène est la conséquence d’un autre phénomène, ma volonté serait-elle capable de commander mes actes ? Enfin, ai-je vraiment le pouvoir d’agir comme je le souhaite ou mes actions sont-elles aussi soumises à des lois extérieures ?

Le mythe de l’identité personelle :

           Pour comprendre ce qu’avance Hume, nous devons d’abord nous pencher sur l’organisation de l’esprit tel qu’il le conçoit. Comme on l’a dit, la pensée de Hume se définit par un empirisme radical ; c’est-à-dire que, pour lui, toutes connaissances, toutes pensées de notre esprit dérivent forcément de la perception. A notre naissance, notre cerveau était parfaitement vierge et ne contenait aucune idée a priori. Au fil de notre vécu, deux sortes de perceptions se forment dans l’esprit : les impressions, et les idées. Les impressions sont premières et découlent toujours de nos sensations, elles regroupent les passions et les émotions. Les idées, elles, découlent toujours des impressions, et n’en sont qu’une copie dérivée. Nous pouvons faire la différence entre les deux, car les impressions sont toujours plus intenses et vivaces que les idées, elles marquent l’esprit avec plus de force. Cela correspond à la différence que nous faisons entre sentir et penser. Le postulat fondamental de la méthode expérimentale de Hume sera donc que toute idée simple dérive et prend son origine dans une impression simple.


           Cela étant établi, nous pouvons revenir à notre problème de l’identité personnelle. Pour cela, il nous faut passer par Descartes, qui est le représentant de la philosophie classique et qui a exprimé la pensée qui servirait de base aux philosophes suivants, qu’ils soient en accord ou en désaccord avec lui. Descartes est célèbre, entre autres, pour son argument du cogito : je pense donc je suis. Lors de ces méditations, ce philosophe se propose de refaire partir toute connaissance du début. Il commence par nier tout ce qu’il peut connaitre et avoir appris jusque-là dans sa vie dans le but de refaire partir la science sur des bases saines et véritables. Il va ainsi jusqu’à remettre en cause l’existence du monde autour de lui ainsi que l’existence même de son corps. La seul chose dont il est sûr dans ce contexte, c’est qu’il pense. C’est ainsi qu’il commencera d’abord à prouver sa propre existence par le raisonnement suivant : si je pense, c’est que j’existe. «Pendant que je voulais aussi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité : je pense donc je suis était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, comme le premier principe de la philosophie que je cherchais » (Discours de la Méthode 4, AT VI p. 32). A partir de ce constat, il va chercher maintenant à savoir ce qu’il est car s’il y a des pensées, c’est qu’il y a quelque chose qui pense. Cette chose, il l’appellera la substance pensante. «Je suis une chose qui pense, c'est-à-dire qui doute, qui affirme, qui nie, qui connaît peu de choses, qui en ignore beaucoup, qui aime, qui hait, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent.» (Med. 3). Autrement dit, nous sommes un esprit qui est consistant et constant, qui reste toujours le même et qui fonde ainsi ce que nous sommes, notre identité.

           Nous pouvons accorder à Descartes la certitude de notre existence, mais existe-il réellement un « moi » en nous qui serait toujours identique ? Si un moi existe comme il le prétend, nous devrions pouvoir trouver selon la méthode de Hume, une impression dont cette idée dérive. Tout d’abord nous remarquons que cela est impossible, nous ne pouvons trouver une sensation particulière à l’idée du moi car nous pouvons faire l’expérience que l’idée d’être une personne identique nous accompagne toujours, il faudrait donc que nous trouvions une impression découlant de nos sensations qui serait constante à toutes nos perceptions. En retournant à notre expérience et à nos sensations, pouvons-nous trouver une telle impression ? Nous devons reconnaître avec Hume que la réponse est non : « Je ne parviens jamais, à aucun moment, à me saisir moi- même sans une perception et je ne peux jamais rien observer d’autre que la perception ». Il s’ensuit donc que notre identité personnelle n’est qu’une croyance, une fiction. Sans cette impression constante de nous même, nous n’avons donc aucune constance, et notre moi n’a aucune consistance. « Je peux me risquer à affirmer que les [...] hommes ne sont qu’un faisceau ou une collection de perceptions différentes, qui se succèdent avec une rapidité inconcevable et sont dans un flux et un mouvement perpétuel. [...] Ce ne sont que les perceptions successives qui constituent l’esprit, et nous n’avons pas la plus lointaine idée du lieu où ces scènes sont représentées, ni des matériaux dont il est composé. » Il n’y a rien de constant en mon esprit qui pourrait être saisi comme mon identité personnelle, il n’y a que des perceptions, des idées et des impressions qui se succèdent les unes aux autres, toujours différentes. Je me crois toujours le même, mais je ne suis pas toujours le même, l’esprit n’est que changement. Il n’en reste pas moins que cette croyance est nécessaire et efficace, et que, même si je peux comprendre cette démonstration, je vais avoir beaucoup de mal à m’enlever de l’idée que je n’ai pas d’identité durable qui forme ma personnalité. Selon Hume, cette croyance vient du fait que l’esprit associe spontanément comme étant le même des objets qui ont forte ressemblance alors même que toutes les perceptions que je peux en avoir sont toujours différentes. La mémoire, et le fait que les autres me considèrent comme étant toujours la même personne, me conforte alors dans cette idée, même si celle-ci reste une illusion.


           Hume, dans le Traité de la nature humaine, déconstruit ce premier mythe de l’identité personnelle constante. Sur un plan pratique, cette connaissance ne nous sera pas a priori d’un grande utilité, nous avons même du mal à la saisir dans toutes ces conséquences. Mais à un autre niveau, nous pouvons peut-être dès lors prendre un peu plus de recul par rapport à ce qu’on pense être soi, et acquérir une plus grande liberté de choix et d’actions dans ce que nous voulons être, puisque rien de ce que nous sommes n’est fixe ni gravé dans le marbre. Enfin, il en serait ainsi si Hume s’était arrêté là…

Le mythe du libre-arbitre :


          Dans la troisième et dernière partie du livre II du Traité, Hume s’intéresse à la question du libre arbitre et continue son entreprise de déconstruction. Le libre arbitre est compris comme étant la capacité du sujet à être la cause de ses actes. Nous considérons cette capacité généralement comme étant spécifiquement humaine, puisque le reste des phénomènes de l’ensemble de la nature serait, eux, soumis à des phénomènes antécédents et à des lois physiques. Cette idée que l’homme serait une exception dans l’univers pourrait commencer par nous mettre un peu la puce à l’oreille. Mais pourtant nous avons vraiment la sensation que nous prenons tous les jours des décisions et que nous les exécutons ensuite en toute liberté. Il me semble bien que si je lâche mon stylo, son mouvement sera déterminé par la loi de la gravitation et tombera au sol. Mais que si je lève mon bras pour lâcher ce même stylo, ce sera une action de ma volonté que rien ne détermine sinon moi-même.


           Or, pour Hume, la volonté n’est pas une capacité rationnelle, mais une émotion. Elle n’est rien d’autre qu’une sensation qui résulte de mes actes mentaux et physiques. Ainsi, contrairement à ce que l’on croit, la volonté n’est pas la cause de nos actes, mais un sentiment qui naît en conséquence de ces mêmes actes. Hume va nous prouver que nous n’avons en fait qu’une croyance théorique dans la capacité des hommes à être maître de leur destin. En pratique, dans notre vie de tous les jours, nous ne cessons d’anticiper une cohérence dans les actions des hommes et la variabilité que l’on peut parfois remarquer est seulement dû aux situations et aux caractères qui ne sont jamais exactement les mêmes. Nous nous figurons toujours qu’une certaine personne que l’on connait agira d’une certaine manière dans telle circonstance et nous agissons en prenant en compte ce futur comportement. Le libre-arbitre est donc une illusion, à laquelle on ne croit même qu’à moitié, uniquement en théorie, alors que dans notre relations aux autres, nous ne cessons de penser que chacun est déterminé. Mais pourquoi est-on alors persuadé d’avoir le choix d’agir comme bon nous semble ? Selon Hume, cela vient du fait que lorsque l’on a choisi une marche à suivre entre plusieurs possibilités, nous nous figurons que nous aurions très bien pu faire un autre choix et agir autrement. Nous confondons alors la fertilité de notre imagination et notre vraie possibilité de choix de nos actions. Ce n’est pas parce que l’on peut imaginer divers plans que nous avons réellement la liberté de choisir lequel nous allons réaliser et qu’un de ces choix n’était pas en réalité pré-déterminé. En vérité, tous les choix que nous croyons faire quotidiennement dépendent de notre conditionnement antérieur, notre histoire et nos habitudes passées.

           Hume continue son raisonnement en s’attaquant ensuite à la croyance que la raison est une puissance capable de gouverner les actions humaines. Selon lui, la volonté n’est en rien déterminée par la raison car d’abord : « la raison ne peut jamais être à elle seule un motif pour une action de la volonté » ensuite « elle ne peut jamais s’opposer à la passion pour diriger la volonté ». Ce n’est jamais motivés par la raison que nous agissons mais toujours sous le joug d’une passion. Nous raisonnons bien sur les moyens à mettre en place pour réussir une action, ou nous évaluons si cette action serait bien pour nous et ne serait pas en contradiction avec d’autres de nos désirs. Mais au final c’est toujours le désir seul qui motive et détermine un acte. De plus, la raison ne peut s’opposer à un désir ; la raison et la passion sont sur deux plans différents totalement étanches l’un à l’autre. « La raison est et ne peut être que l’esclave des passions ; elle ne peut jamais prétendre exercer une autre office que celui de les servir et de leur obéir ». Une émotion, ou un désir, est un fait, il n’est ni vrai ni faux et ne peut donc être opposé à la raison, le croire serait faire une erreur de catégorie. La raison ne peut en aucun cas être une puissance motivationelle et s’opposer à la volonté.


Une libre nécessité avec Spinoza ?

           Pour caricaturer, nous ne sommes donc rien, et nous ne pouvons rien y faire. Notre identité constante comme notre capacité à être maître de nos choix sont des illusions, des croyances si ancrées en nous, que les admettre serait renier tout ce qui nous constitue. Et il faut avouer que cette pensée est assez déprimante et difficile à accepter ou même seulement à réaliser pleinement. Rien ne peut nous empêcher d’y croire, même si rationnellement avec Hume nous ne pouvons plus que fortement douter de ces capacités. Pour retrouver un peu d’espoir et une relative liberté, c’est vers Spinoza que nous pourrions nous tourner maintenant. Ce philosophe, comme Hume, pense l’homme entièrement déterminé par des circonstances extérieures. Il n' y a dans ses actes que du nécessaire et de l’impossible, rien entre les deux. Si nous nous croyons libres, selon lui, c’est parce que nous sommes conscients de nos actions mais ignorants des causes qui les déterminent. L’homme ne peut en aucun cas être une exception dans l’ordre de la nature en se déterminant lui-même. Il est comme une pierre pensante consciente qu’elle dévale le long d’une pente mais ignorant la loi de la gravitation, et qui croirait avoir librement choisit de rouler jusqu’en bas.



« Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu'elle continue de se mouvoir, pense et sache qu'elle fait effort, autant qu'elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre assurément, puisqu'elle a conscience de son effort seulement et qu'elle n'est en aucune façon indifférente, croira qu'elle est très libre et qu'elle ne persévère dans son mouvement que parce qu'elle le veut. Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent. Un enfant croit librement appéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se venger et, s'il est poltron, vouloir fuir. Un ivrogne croit dire par un libre décret de son âme ce qu'ensuite, revenu à la sobriété, il aurait voulu taire. De même un délirant, un bavard, et bien d'autres de même farine, croient agir par un libre décret de l'âme et non se laisser contraindre. » ( Spinoza, Lettre LVIII - à Schuller-). 

           Mais comment pourrions-nous vivre avec cette idée et trouver un sens à toutes nos actions si en quelque sorte tout est écrit d’avance, et n'a pas besoin de notre volonté pour se dérouler ? Spinoza va parvenir à nous sauver de cette dépression métaphysique qui pointe son nez, en montrant que la véritable liberté n’est pas une libre volonté mais une libre nécessité.

                     Être libre, ce n’est pas ne dépendre de rien, mais c’est d’abord comprendre ce qui nous déterminent ; la connaissance de ces causes augmentera notre part d’autodétermination. Ainsi nous pourrons ne suivre que notre nature et non des causes qui nous seraient extérieures. On n'est pas libre, mais on peut le devenir dans une certaine mesure, car la liberté est avant tout un perfectionnement. Reconnaître que nous sommes contraints est le premier pas vers notre libération. L’homme, comme le reste des choses et des vivants, fait partie de la nature, il doit ensuite comprendre les pulsions qui le poussent à agir pour s’engager vraiment sur le chemin de la nécessité libératrice. Celui qui aura compris ce qui lui est bon, ne dépendra de rien d’autre que de lui-même et sera réellement libre. Ainsi tout n’est pas perdu pour l’homme, Spinoza lui offre une porte de sortie. La croyance selon laquelle il y aurait à l’intérieur de moi, un spectateur qui serait toujours le même et assisterait à tous les changements de ma vie en n'en faisant le lien, est une illusion. Cette identité personnelle n’est qu’une fiction que je me raconte. Le fait que j’échappe au déterminisme qui régit l’ensemble de la nature, en étant moi-même le maître absolu de mes actions est également un mythe. Mais en reconnaissant que je ne suis pas libre, et que des causes me déterminent, je peux développer ma puissance d’agir… et le devenir.
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