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Va vers ton risque ! avec Nietzsche

samedi 24 mai 2014



Nietzsche écrit, dans Par delà bien et mal, que ce que les nouveaux philosophes «  aimeraient réaliser de toutes leurs forces c’est le bonheur du troupeau pour tout le monde, le bonheur du troupeau qui pâture sa prairie, dans la sécurité, le bien-être, l’universel allègement de l’existence; (...) la souffrance elle-même, à leurs yeux, est une chose qu’il convient d’abolir » (§44) 

On retrouve ici les mots « bien-être, confort, sécurité » qui semblent être les buts après lesquels courent les sociétés actuelles. C’est ce que la publicité nous fait miroiter derrière chaque objet de consommation. Et comment pourrait-il en être autrement ? Qui ne veut pas plus de bonheur et moins de souffrance ? Cette question même ne se pose pas. Mais derrière ces mots, se dissimule une philosophie de vie qui est vendue avec car, avec la sécurité et le confort, on achète aussi la conservation de soi, la recherche de la facilité et la peur du risque. Pour caricaturer, le bonheur ou la vie même c'est de rester sagement chez soi, protégé de toutes les souffrances du monde. De ne suivre la pente que de ce qui est facile et sans effort. Mais est-ce vraiment là le meilleur idéal de vie ? Celui qui nous construira et fera de nous qui nous sommes ? C’est ce que nous pouvons légitimement nous demander. 
Si on a eu la chance d’avoir été épargné par les épreuves de la vie, il n’est pas difficile de regarder autour de soi, pour voir que ce sont rarement les moments les plus heureux qui nous ont vraiment transformés. Chacun connaît quelqu’un qui a été confronté à la maladie, à la précarité, ou la violence et qui, s’il s’en est relevé et devenu quelqu’un d’autre. Ces personnes nous disent : « S’il ne m’était pas arrivé cela, je n’en serais pas là aujourd’hui ». Que gagne-t-on alors dans la confrontation avec la difficulté ? 
Pour le savoir et comprendre ce qui pousse Nietzsche à penser qu’il n’y a pas de plus folle ambition que de vouloir abolir la souffrance (ibid, §225) il faut revenir à la conception de la vie de ce philosophe. Nietzsche va contre les biologistes et les philosophes dans la lignée de Darwin qui conçoivent la vie comme simple conservation de soi et adaptation aux circonstances. Pour lui la vie est « volonté de puissance. » Dans son idée, notre être, notre corps sont composés de pulsions et de passions qui sont constamment en conflit pour savoir laquelle arrivera à plier les autres pour les utiliser dans le sens de ses aspirations propres. L’être libre de cette configuration est celui qui impose à ces instincts la domination hiérarchique la plus rigoureuse. C’est ainsi que pour Nietzsche la vie ou la volonté de puissance, c’est la conquête, la création et le risque de soi. Pour avancer, l’homme doit se mettre en danger, non végéter dans la simple perpétuation de son patrimoine génétique. La vie n’est pas une quantité de vitalité qui est donné au départ mais une capacité qui se développe en surmontant les difficultés extérieures. Ainsi ce qu’on gagne à choisir la voix la plus difficile selon Nietzsche c’est de la vie même, de la volonté de puissance. 
Mais ce philosophe va plus loin encore, pour lui l’homme des temps démocratiques est devenu une bête domestiquée, fatiguée, faible, en un mot malade. Ce qui le pousse par une pensée des plus non consensuelle à faire l’apologie des guerres comme stimulant nécessaire à la vie dans Humain trop humain « La civilisation ne peut absolument pas se passer des passions, des vices et des méchancetés. — Lorsque les Romains parvenus à l’Empire furent un peu las des guerres, ils essayèrent de retirer de nouvelles forces des battues à la bête fauve, des combats de gladiateurs et des persécutions contre les chrétiens. Les Anglais d’aujourd’hui, qui semblent en somme avoir aussi renoncé à la guerre, prennent un autre moyen de recréer ces forces qui décroissent : ces périlleux voyages de découvertes, ces traversées, ces ascensions, entrepris, à ce qu’on dit, pour des buts scientifiques, en réalité pour rapporter chez eux des aventures, des dangers de toute nature, un supplément de force. On inventera sous diverses formes de pareils substituts de la guerre, mais peut-être feront-ils voir de plus en plus qu’une humanité d’une culture aussi élevée et par là même aussi fatiguée que l’est aujourd’hui l’Europe, a besoin non seulement des guerres, mais des plus terribles — partant de retours momentanés à la barbarie — pour ne pas dépenser en moyens de civilisation sa civilisation et son existence mêmes. » (§477)
Ce que l’on comprend, c’est que l’homme qui vit dans la sécurité du confort, devient « dégénéré » dans le sens premier du terme en passant d’une vie simple et dure, à la vie compliqué mais facile des temps modernes. Nietzsche dit encore « Appris à l’École de Guerre de la vie : ce qui ne me tue pas me fortifie. ». (Crépuscule des idoles §8) Ce que gagne l’homme conquérant c’est de la force et de la réalisation de soi, car la vraie valeur ne se gagne que dans l’effort contre les autres, et surtout contre soi-même. Celui qui a lutté contre ses ennemies extérieurs comme intérieurs, connaît ses pouvoirs et ses limites. C’est pourquoi « la nature forte à besoin de résistance à vaincre, par conséquent elle recherche ce qui lui résiste. » (Ecce Homo, §7 ) L’homme affranchi cherche donc  « la dureté, la violence, l’esclavage, le péril dans l’âme et dans le rue, les artifices, le stoïcisme, la tentation et les diableries de toutes sortes. (...)  tout ce qui est mauvais, terrible, tyrannique, tout ce qui chez l’homme tient de la bête de proie et du serpent sert tout aussi bien à l’élévation du type homme que son contraire. (Par delà bien et mal, §44). 
Ainsi dans la volonté d’abolir toute souffrance se cache le refus du risque qui est nécessaire à la vie en tant que conquête et création. Selon Nietzsche, il nous faut aspirer à vivre d’avantage. Qu’est l’homme qui a bravé la difficulté comparé à celui qui n’a fait que suivre sa pente tranquillement ? Si on ne peut pas dire qu’il est meilleur, il semble qu’en un sens il lui soit supérieur sur certains plans. Il se connaît mieux, il est plus fort et réalisé, mature. Bien sûr tout est à nuancer, il ne s’agit pas de verser dans les pratiques masochistes ou de risquer sa vie inutilement dans les actes les plus périlleux. Mais de comprendre que la recherche du bonheur à tout prix, et la fuite de toute difficulté et souffrance qui est dictée actuellement, n’est pas ce qui nous construira et nous apportera forcément les clefs de la félicité. L’homme, plus que le bien-être, recherche à éprouver du mal comme du bien, pour se sentir vivant. Et par la résistance, il devient plus libre en bravant ses peurs. Celui qui s’est confronté à ses démons, transforme ce qu’il a vécu de pire en ce qui lui arrive de meilleur. Il s’agit de comprendre la place et les bienfaits de la souffrance qui, comme les moments  de bien-être, sont nécessaires à la vie. Sans courir après forcément, il faut avant tout les accepter et trouver la force de se battre contre eux pour en sortir grandi. 

Nous pourrions maintenant illustrer les idées d’un penseur comme Nietzsche avec celles d’un homme d’action, qui a plus vécu que les autres, comme Olivier de Kersauson, marin reconnu, en proposant quelques extraits de son livre Le monde comme il me parle. Aussi éloigné que soient ces deux hommes, une même intuition les rapproche. 
« J’ai toujours, presque par philosophie, choisi dans ma vie la route la plus difficile. Le risque. L’extrême. C’est l’une des plus vieilles règles du monde que j’ai comprise lorsque je devais avoir 10 ou 12 ans : dans la vie, il y a toujours deux voies face à soi, une difficile, et l’autre facile. Si on emprunte la plus dure, on a toutes les chances de faire le bon choix. C’est presque une loi physique. La voix la plus dure construit. Il faut aller vers le plus dur, toujours. C’est comme à la guerre : on peut mourir à l’assaut des tranchées ou mourir en fuyant. Entre la balle dans le dos et la balle dans le cœur, j’ai toujours préféré l’idée de la balle dans le cœur. Le fait de vivre emmène obligatoirement dans des phases où l’on ne contrôle plus rien. Il s’agit de résister. C’est moins dangereux de risquer que de subir. La facilité, c’est l’impasse. Ce n’est pas le danger auquel on échappe qui procure du plaisir, c’est l’habileté avec laquelle nous y avons échappé - on peut appeler cette habileté de la chance. (p.7) 
« Les risques sont faits pour être pris- contrairement à ce que tout le monde dit. Le risque, il est biologique, si l’on préfère. Si on ne prend pas les risques, alors ce n’est pas la peine de vivre. Il faut, pour comprendre s’imaginer devant un panneau sur lequel il y a marqué le mot « risque ». La plupart des mecs vont barrer le mot. Moi, je le laisse. Le risque il fait partie de tout le reste. Il ne faut pas l’exclure. C’est vrai que sur mon panneau le mot est écrit en gros. Ou, plutôt, il est écrit en caractères plus ou moins gros en fonction du moment. La plupart de nos contemporains, en voyant ce mot-là, ils se mettent à hurler. Il ne sert pourtant à rien de vouloir le fuir .Est-ce qu’il n’est pas plus dangereux de ne pas risquer sa vie ? C’est la seule vraie question. Nos peurs sont elles ensemble justifiées et justifiables ? (p.65)  

Pour finir nous pouvons citer cet extrait de Rougeur des matinaux de René Char qui pourrait devenir notre nouvelle devise : 
Impose ta chance, 
Serre ton bonheur, 
Et va vers ton risque
 À te regarder, ils s’habitueront.



référence : cours sur Nietzsche et Bergson, Arnaud François


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