Fourni par Blogger.

Contenu


Petite oasis de culture philosophique et littéraire

Venez chercher ici de petites doses de culture, sous la forme d'articles de philosophie ou d'extraits littéraire et comme le baobab déployez de nouvelles racines vers le ciel des idées.

Comment la peur de la mort peut-elle nous aider à mieux vivre ? - 10 textes

samedi 31 mai 2014


En serbe, la mort se dit « smrt », ce qui traduit mieux peut-être que le mot français, cette idée de la mort sifflant comme un serpent en guettant ses proies*. On dit que la peur de la mort est une angoisse purement humaine. Elle ne semble pas à première vue toucher les animaux du peu que nous savons de leur pensée. La mort reste même pour nous une menace lointaine, si nous n’y sommes directement confrontée. Pourtant, c’est une pensée que chacun a pu ressentir à une ou plusieurs occasions dans sa vie. Un sentiment fort s’empare de nous, et semble contracter tout notre corps, une peur irraisonnée de disparaître et de ne pas survivre à la nuit nait dans notre esprit, et nous paralyse. Mais de quoi avons-nous réellement peur ? La mort est un phénomène qui touche tout le monde, et pourtant nous ne savons rien d’elle. Nous avons tous perdu des êtres chers ou des animaux de compagnie auxquels nous étions attachés, mais il ne s’agit là même si c’est le plus douloureux que de la mort des autres. De la mort en tant que vécu nous ne savons rien, et personne n’en est revenu pour nous en donner un témoignage. Comme dit Socrate :"Qu'est-ce, en effet, que craindre la mort […] sinon se prétendre en possession d'un savoir que l'on n'a point? […] Car personne ne sait ce qu'est la mort, ni même si elle ne se trouve pas être pour l'homme le plus grand des biens, et pourtant les gens la craignent comme s'ils savaient parfaitement qu'il s'agit du plus grand malheur" La peur de la mort est donc en premier lieu une peur de l’inconnu. Mais elle est plus que cela, on ne peut savoir ce qu’est la mort et pourtant il semble que ceux qui n’ont pas la chance de croire à une résurrection quelconque, n’ont pas seulement une peur de l’inconnu mais aussi comme une peur du vide. La mort est le retour à la matière, à la non conscience, au rien et au néant, dont on peut difficilement se faire une idée mais qui suffit à éveiller chez nous de grandes angoisses. Quand on ne sera plus là, le monde continuera sans nous, et notre existence sombrera un jour dans l’oubli, comme si elle n’avait duré qu’un bref instant pareil à l’éclatement d’une bulle de savon. La mort nous renvoie donc à l’insignifiance de notre propre vécu et à l’éphémère de toute chose. Mais il ne s’agit pas ici de nous apitoyer sur notre sort, nous allons voir par différents extraits comment la mort fut considérée par différents auteurs, et comment nous pourrions changer notre conception d’elle et peut être mettre à profit cette peur pour mieux vivre.  


Pourquoi en premier lieu devrions-nous écouter notre peur de la mort ?  Nous ne connaissons rien d’elle, comme on a pu le lire plus haut dans cet extrait tiré de l’Apologie de Socrate. Le texte suivant du philosophe taoïste Tchouang-tseu (-400 av. JC) nous montre de plus que la mort est une transformation naturelle et donc qu’il ne servirait à rien d’en avoir peur ou de la pleurer. Si nous ne pensons pas au temps d’avant notre naissance, pourquoi craindre le temps d’après notre vie ? Voilà une première objection à notre crainte. 

« Lorsque la femme de Tchouang-tseu mourut et que Houei Che vint présenter ses condoléances, Tchouang-tseu était assis par terre les jambes écartées et chantait en tambourinant sur le cul d’une jarre. 
Houei Che lui dit : « Elle a été votre compagne, elle a élevé vos enfants, elle a vieilli avec vous. Il serait déjà choquant que vous ne pleuriez pas sa mort. Mais que vous chantiez en vous accompagnant sur une jarre, cela dépasse la mesure ! »
Tchouang-tseu répondit : « Nullement. Lorsqu’elle est morte, croyez-vous donc que je n’en ai pas été affligé ? Mais je me suis rendu compte qu’il fut un temps où sa vie n’était pas encore, où même aucune forme n’était encore apparue, où même aucun souffle ne s’était manifesté ; que quelque chose qui avait d’abord existé caché dans l’indistinction première s’était transformé en souffle, et avait pris forme, que cette forme s’était transformé et avait donné lieu à la vie et que maintenant, par une nouvelle transformation, elle avait passé dans la mort, exactement comme se suivent les quatre saisons, le printemps et l’automne, l’hiver et l’été. Elle repose en paix dans un caveau immense et moi, je sanglotais bruyamment auprès d’elle. Je me suis aperçu que c’était ne rien comprendre à la nécessité et je me suis arrêté. » 

De plus pourquoi avoir peur de la mort alors qu’elle pourrait être un plus grand bien que la vie ? C’est ce que se pose comme question ce second texte de Tchouang-tseu. 

« Se rendant à Chu, Tchouang-tseu aperçut un crâne desséché mais encore entier. Il le remua du bout de sa cravache et l'interrogea ainsi : 
"La passion de vivre t'a-t-elle fait commettre des excès, que tu en sois arrivé là? Ou en es-tu là parce que ton pays a été ruiné par la guerre? Parce que tu as été exécuté d'un coup de hache? Parce que tu as mal agi et que tu n'as pas supporté d'avoir déshonoré les tiens? Ou pour avoir souffert de la faim et du froid? Ou est-ce simplement que tes années étaient arrivées à leur terme?" 
Il se tut, amena le crâne à lui, s'en fit un oreiller et s'allongea pour dormir.
Au milieu de la nuit, le crâne lui apparut en rêve et lui dit : 
"Tes propos de tout à l'heure n'étaient que de la rhétorique. Tu as évoqué les servitudes auxquelles sont soumis les vivants, mais rien de tel n'existe plus dans la mort. Veux-tu que je te parle de la mort?" 
- "Je veux bien", dit Tchouang-tseu. 
Le crâne reprit : 
"Dans la mort, il n'y a plus ni prince au-dessus, ni sujets au-dessous, ni travaux des saisons. On est détaché de tout cela et l'on a pour soi la durée du Ciel et de la Terre. Même le plaisir royal de régner n'approche pas de cette joie-là. "
Tchouang-tseu fit, incrédule : "Si, à ma demande, le Maître des destinées était prêt à reconstituer ton corps, à te refaire les os, la chair, les muscles et la peau, à te rendre père, mère, femme, enfants, voisins et amis, accepterais-tu?"
Le crâne se rembrunit et répondit : 
"Comment pourrais-je renoncer à une joie royale pour me soumettre à nouveau aux peines de l'existence humaine ? »


La mort est un processus naturel inévitable, et on ne sait pas si elle ne pourrait être un bien, plutôt qu’un mal. Maintenant nous allons voir un autre rapport à la mort avec ce texte d’Epicure. Pour lui la mort ne peut être un mal car elle est d’abord une absence de sensation, il ne sert donc à rien de la redouter. 


« Maintenant habitue-toi à la pensée que la mort n’est rien pour nous, puisqu’il n’y a de bien et de mal que dans la sensation et la mort est absence de sensation. Par conséquent, si l’on considère avec justesse que la mort n’est rien pour nous, l’on pourra jouir de sa vie mortelle. On cessera de l’augmenter d’un temps infini et l’on supprimera le regret de n’être pas éternel. Car il ne reste plus rien d’affreux dans la vie quand on a parfaitement compris qu’il n’y a pas d’affres après cette vie. Il faut donc être sot pour dire avoir peur de la mort, non pas parce qu’elle serait un événement pénible, mais parce qu’on tremble en l’attendant. De fait, cette douleur, qui n’existe pas quand on meurt, est crainte lors de cette inutile attente !
Ainsi le mal qui effraie le plus, la mort, n’est rien pour nous, puisque lorsque nous existons la mort n’est pas là et lorsque la mort est là nous n’existons pas. Donc la mort n’est rien pour ceux qui sont en vie, puisqu’elle n’a pas d’existence pour eux, et elle n’est rien pour les morts, puisqu’ils n’existent plus. Mais la plupart des gens tantôt fuient la mort comme le pire des maux et tantôt l’appellent comme la fin des maux. Le philosophe ne craint pas l’inexistence, car l’existence n’a rien à voir avec l’inexistence, et puis l’inexistence n’est pas un méfait. »
Epicure, Lettre à Ménécée, trad. E. Boyancé P.U.F. 

Nous comprenons donc que la mort ne fera pas partit de notre vécu puisque quand elle se saisira de nous, nous ne serons déjà plus... Alors à quoi sert de s’en soucier ? Wittgenstein ne dit pas autre chose : 
 « La mort n'est pas un événement de la vie. On ne vit pas la mort. Si l'on entend par éternité non la durée infinie mais l'intemporalité, alors il a la vie éternelle celui qui vit dans le présent. Notre vie n'a pas de fin, comme notre champ de vision est sans frontière. » 

Tractatus logico-philosophicus (1921), 6.4311


Par ces textes, nous avons compris que la mort était un événement naturel, qui ne serait pas un mal pour nous, augmenté du fait qu’on ne la vivrait pas. Mais nos peurs sont-elles pour autant anéanties ? Selon Pierre Bayle, ces explications rationnelles ne se révèlent pas suffisante à effacer notre crainte légitime. 

« Épicure et Lucrèce supposent que la mort est une chose qui ne nous concerne pas, et à laquelle nous n’avons aucun intérêt. Ils concluent cela de ce qu’ils supposent que l’âme est mortelle, et par conséquent que l’homme ne sent plus rien après la séparation du corps et de l’âme. [...] 
Ces philosophes [...] supposent que l’homme ne craint la mort que parce qu’il se figure qu’elle est suivie d’un grand malheur positif. Ils se trompent, et ils n’apportent aucun remède à ceux qui regardent comme un grand mal la simple perte de la vie. L’amour de la vie est tellement enraciné dans le cœur de l’homme, que c’est un signe qu’elle est considérée comme un très grand bien ; d’où il s’ensuit que de cela seul que la mort enlève ce bien, elle est redoutée comme un très grand mal. À quoi sert de dire contre cette crainte : vous ne sentirez rien après votre mort ? Ne vous répondra-ton pas aussitôt, c’est bien assez que je sois privé de la vie que j’aime tant ; et si l’union de mon corps et de mon âme est un état qui m’appartient, et que je souhaite ardemment conserver, vous ne pouvez pas prétendre que la mort qui rompt cette union est une chose qui ne me regarde pas.

Concluons que l’argument d’Épicure et de Lucrèce n’était pas bien arrangé, et qu’il ne pouvait servir que contre la peur des peines de l’autre monde. Il y a une autre sorte de peur qu’ils devaient combattre ; c’est celle de la privation des douceurs de cette vie. »
Bayle Pierre, Dictionnaire historique et critique, 1697, article « Lucrèce », tome IX, Genève, Slatkine Reprints, 1969.

En effet, ces explications sur la mort ne peuvent nous empêcher de préférer la vie et de souffrir de sa perte possible. Une personne jeune qui se sait mourante, ne pourra s’empêcher de ressentir comme un sentiment d’injustice face à cette mort qu’il estime prématurée. Et comme nous le montre La Fontaine dans sa fable La mort et le mourant : « Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret ». Il arrive un âge où l’on voit partir les uns après les autres tous ceux que l’on a connus, cela nous apparaît comme un rappel de la mort à notre encontre, on sait que ce sera bientôt notre tour. Que l’on soit au printemps, ou à l’hiver de sa vie, la fin qui est proche ne nous est pas facile à supporter. Même les personnes les plus athées, dans les pires moments peuvent se tourner vers la croyance et la prière pour trouver un recours à leur peur. L’homme semble de tout temps avoir eu besoin de la possibilité hypothétique d’un après. Mais nous pouvons aussi nous apercevoir que nous regrettons avec un peu moins de peine peut-être ceux dont on sait qu’ils ont bien vécu, ceux qui ont fait leur temps et qui ont su profiter des douceurs de la vie, comme dit Bayle. La clef pour accepter la mort est donc sans doute dans la vie elle-même et dans notre façon de la vivre. 




Rêverie

Quand le paysan sème, et qu’il creuse la terre,
Il ne voit que son grain, ses bœufs et son sillon.
― La nature en silence accomplit le mystère, ―
Couché sur sa charrue, il attend sa moisson.

Quand sa femme, en rentrant le soir, à sa chaumière,
Lui dit : « Je suis enceinte », ― il attend son enfant.
Quand il voit que la mort va saisir son vieux père,
Il s’assoit sur le pied de la couche, et l’attend.

Que savons-nous de plus ?… et la sagesse humaine,
Qu’a-t-elle découvert de plus dans son domaine ?
Sur ce large univers elle a, dit-on, marché ;
Et voilà cinq mille ans qu’elle a toujours cherché !

Alfred de Musset — Poésies posthumes

Doit-on simplement attendre la mort comme ce paysan ? Musset a-t-il raison en pensant que la sagesse humaine ne peut nous être d’aucun secours ? Nous allons voir, que devant la certitude de notre fin, nous avons différentes manières de réagir. La philosophie, se présente depuis ses débuts comme une sorte de remède aux maux humains, elle permet cette distance de la réflexion sur les choses. Pour Cicéron d’abord, puis Montaigne, « philosopher, c’est apprendre à mourir ». Le paysan du poème est déjà un philosophe en n’essayant pas en vain d’échapper à ce qui lui arrive. Il attend que ses cultures poussent, il attend son enfant, et accepte la mort de son père avec dignité. Loin de se passer de la sagesse, il en a saisi l’essence en comprenant que rien ne sert de lutter contre ce qui est inévitable. Son attitude est très stoïcienne. Selon beaucoup de sagesses, la peur de la mort est la peur ultime. Le sage qui arrive à se débarrasser de cette crainte, gagne une liberté et une tranquillité d’esprit qui n’a pas d’égale comme l’illustre ce poème chinois. 

« Les affaires du monde ne sont que désordres
Mieux valent les montagnes et les collines
des pins qui cachent le soleil,
Une rivière encaissée, un long automne,
les nuages sur les crêtes qui forment un rideau,
La lune qui dans la nuit dessine un crochet
Et moi allongé sous des plantes grimpantes,
la tête sur une pierre qui me sert d'oreiller
je ne suis pas un homme qui se plie au pouvoir,
Pourquoi donc envierais-je le prestige des nobles ! 
Si la vie et la mort me laisse indifférent, 
De quoi pourrais-je encore encombrer mon esprit ! »

poème chan, de Wang Fanzhi (590-660)

En apprivoisant la peur de la mort, nous allons pouvoir vivre une vie plus sereine et plus intense. Comme nous allons le voir, la mort n’a pas que des mauvais côtés. Dans les enseignements d’un sorcier yaqui de Castaneda, Don juan dit à son disciple de toujours imaginer la mort à gauche de lui à la portée d’un bras seulement. A chaque fois que celui-ci se ferait du souci pour une chose, il devrait se tourner vers la mort et lui demander conseil. La mort est l’ultime conseillère pour vivre sa vie car elle a le pouvoir de relativiser tous ce qui pourrait nous arriver. Dans l’antiquité, on disait déjà, memento mori, souviens toi que tu es mortel. Rien ne peut avoir d’importance devant la mort, les choses retrouvent alors leurs justes valeurs, et tout en est simplifié. Elle nous oblige à révéler nos priorités, et à suivre notre voie. 
C’est ce que comprit Steeve Jobs à qui on décela un cancer du pancréas, qui peut-être considéré comme le cancer le plus foudroyant. Dans un discours pour la remise des diplôme de l’université de Stanford en 2005, il raconte ce que lui a appris cette expérience de proximité avec la mort : 

«  Ma troisième histoire concerne la mort. A l’âge de 17 ans, j’ai lu une citation qui disait à peu près ceci : « Si vous vivez chaque jour comme s’il était le dernier, vous finirez un jour par avoir raison. » Elle m’est restée en mémoire et, depuis, pendant les trente-trois années écoulées, je me suis regardé dans la glace le matin en me disant : « Si aujourd’hui était le dernier jour de ma vie, est-ce que j’aimerais faire ce que je vais faire tout à l’heure ? » Et si la réponse est non pendant plusieurs jours d’affilée, je sais que j’ai besoin de changement.
Avoir en tête que je peux mourir bientôt est ce que j’ai découvert de plus efficace pour m’aider à prendre des décisions importantes. Parce que presque tout – tout ce que l’on attend de l’extérieur, nos vanités et nos fiertés, nos peurs de l’échec – s’efface devant la mort, ne laissant que l’essentiel. Se souvenir que la mort viendra un jour est la meilleure façon d’éviter le piège qui consiste à croire que l’on a quelque chose à perdre. On est déjà nu. Il n’y a aucune raison de ne pas suivre son cœur.

Il y a un an environ, on découvrait que j’avais un cancer. A 7 heures du matin, le scanner montrait que j’étais atteint d’une tumeur au pancréas. Je ne savais même pas ce qu’était le pancréas. Les médecins m’annoncèrent que c’était un cancer probablement incurable, et que j’en avais au maximum pour six mois. Mon docteur me conseilla de rentrer chez moi et de mettre mes affaires en ordre, ce qui signifie : « Préparez-vous à mourir. » Ce qui signifie dire à ses enfants en quelques mois tout ce que vous pensiez leur dire pendant les dix prochaines années. Ce qui signifie essayer de faciliter les choses pour votre famille. En bref, faire vos adieux.
J’ai vécu avec ce diagnostic pendant toute la journée. Plus tard dans la soirée, on m’a fait une biopsie, introduit un endoscope dans le pancréas en passant par l’estomac et l’intestin. J’étais inconscient, mais ma femme, qui était présente, m’a raconté qu’en examinant le prélèvement au microscope, les médecins se sont mis à pleurer, car j’avais une forme très rare de cancer du pancréas, guérissable par la chirurgie. On m’a opéré et je vais bien.

Ce fut mon seul contact avec la mort, et j’espère qu’il le restera pendant encore quelques dizaines d’années. Après cette expérience, je peux vous le dire avec plus de certitude que lorsque la mort n’était pour moi qu’un concept purement intellectuel : personne ne désire mourir. Même ceux qui veulent aller au ciel n’ont pas envie de mourir pour y parvenir. Pourtant, la mort est un destin que nous partageons tous. Personne n’y a jamais échappé. Et c’est bien ainsi, car la mort est probablement ce que la vie a inventé de mieux. C’est le facteur de changement de la vie. Elle nous débarrasse de l’ancien pour faire place au neuf. En ce moment, vous représentez ce qui est neuf, mais un jour vous deviendrez progressivement l’ancien, et vous laisserez la place aux autres. Désolé d’être aussi dramatique, mais c’est la vérité.
Votre temps est limité, ne le gâchez pas en menant une existence qui n’est pas la vôtre. Ne soyez pas prisonnier des dogmes qui obligent à vivre en obéissant à la pensée d’autrui. Ne laissez pas le brouhaha extérieur étouffer votre voix intérieure. Ayez le courage de suivre votre cœur et votre intuition. L’un et l’autre savent ce que vous voulez réellement devenir. Le reste est secondaire. »

Ce que permet la mort, c’est le changement. Nous pourrions nous demander ce que serait une vie éternelle, sinon un ennui mortel. Les moments que nous vivons n’auraient pas l’importance qu’ils ont, car ils pourraient toujours être recommencés. La mort dans ce cadre pourrait nous apparaître presque comme une bénédiction. Si tout est changeant, il faut vivre au mieux chaque moment et ne pas gaspiller son énergie à se préoccuper de problèmes inutiles. Nous devons vivre le plus possible dans le présent, en profitant au maximum de chaque instant. 

« Le sérieux comprend que si la mort est une nuit, la vie est le jour, que si l’on ne peut travailler la nuit, on peut agir le jour, et comme le mot bref de la mort, l’appel concis, mais stimulant de la vie, c’est : aujourd’hui même. Car la mort envisagée dans le sérieux est une source d’énergie comme nulle autre ; elle rend vigilant comme rien d’autre. La mort incite l’homme charnel à dire : « Mangeons et buvons, car demain, nous mourrons ». Mais c’est là le lâche désir de vivre de la sensualité, ce méprisable ordre des choses où l’on vit pour manger et boire, et où l’on ne mange ni ne boit pour vivre. L’idée de la mort amène peut-être l’esprit plus profond à un sentiment d’impuissance où il succombe sans aucun ressort ; mais à l’homme animé de sérieux, la pensée de la mort donne l’exacte vitesse à observer dans la vie, et elle lui indique le but où diriger sa course. Et nul arc ne saurait être tendu ni communiquer à la flèche sa vitesse comme la pensée de la mort stimule le vivant dont le sérieux tend l’énergie. Alors le sérieux s’empare de l’actuel aujourd’hui même ; il ne dédaigne aucune tâche comme insignifiante ; il n’écarte aucun moment comme trop court. »
Sören Kierkegaard, Sur une tombe, in Kierkegaard, l’existence, p. 212, PUF.

Comme nous le disent ces deux auteurs, il faut vivre comme si on allait mourir demain, mais sans pour autant vivre une vie de flambeur. Au contraire, l’éphémère de la vie oblige à vivre également d’une manière responsable par égard à ce que l’on va laisser derrière soi : les conséquences de ses actions, ce que l’on a créé, ou le caractère de ses enfants. Par extension, nous continuerons à vivre par ces ouvrages, il importe donc d’y apporter du soin. Par de minimes actions même, ne pourrions pas rendre le monde un peu meilleur ou soulager quelques peines de notre temps ? Les artisans, artistes ou écrivains laisseront également peut-être des œuvres durables qui accompagneront et inspirons d’autres générations comme les divers textes que nous avons pu lire jusqu’à présent. Nos enfants ou ceux que nous avons connus, se souviendront de notre exemple et continueront peut-être ce qui nous tenait à cœur. Mener une vie éthique, agir en accord avec soi-même, permet sans doute d’aider à partir sans regret, conscient d’avoir bien vécu. De plus, comme nous ne pouvons savoir si une vie après la mort existe, nous pouvons croire tout de même à une réincarnation sur le plan physique, la matière de notre corps, retournera à la terre, et continuera sa transformation en nourrissant la matière d’un autre être vivant. 

La mort, par contraste rend la vie sacrée, elle est ce qui s’en va si vite, elle est ce qu’il faut préserver. L’impermanence des choses est ce qui leur donne leur valeur et leur beauté. Le nouveau peut alors émerger, et donner une énergie nouvelle de vivre. Comme on ne peut échapper à sa fin, il faut l’accepter et vivre au mieux conscient que rien de ce qui nous entoure, y compris nous, ne sera donc éternel. Une attitude humble devant la vie qui nous a été prêtée serait de rigueur, même si pour certains elle n’a pas la chance d’être longue, l’idée de la mort est l’ultime crainte qui peut nous aider à mieux vivre. 


C'est une chose étrange à la fin que le monde


C'est une chose étrange à la fin que le monde
Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit
Ces moments de bonheur ces midis d'incendie
La nuit immense et noire aux déchirures blondes

Rien n'est si précieux peut-être qu'on le croit
D'autres viennent Ils ont le cœur que j'ai moi-même
Ils savent toucher l'herbe et dire je vous aime
Et rêver dans le soir où s'éteignent les voix

Il y aura toujours un couple frémissant
Pour qui ce matin-là sera l'aube première
Il y aura toujours l'eau le vent la lumière
Rien ne passe après tout si ce n'est le passant

C'est une chose au fond que je ne puis comprendre
Cette peur de mourir que les gens ont chez eux
Comme si ce n'était pas assez merveilleux
Que le ciel un moment nous ait paru si tendre...

Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
Qu'à qui voudra m'entendre à qui je parle ici
N'ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle


Louis Aragon, (1897-1982), Les Yeux et la mémoire, 1954, 
Chant II, Que la vie en vaut la peine



* Nur, Arnaud Rykner.

illustration : le cri d'Edvard Munch 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

 

Suivre sur Facebook

Popular Posts